Pourquoi tout le monde s’en va? : La grande démission!

Pourquoi tout le monde s’en va? : La grande démission!

Est ce qu’il ne faut pas être un peu fou pour démissionner d’un travail qui vous permet de vivre dans de bonnes conditions pour choisir une situation beaucoup plus précaire?

Dans cet article, j’évoque les raisons qui m’ont poussées à quitter une situation de salarié d’une grande multinationale avec un certain confort pour une situation précaire!

Photo by Jason Leung on Unsplash

Un constat général

Est ce qu’il ne faut pas être un peu fou pour démissionner d’un travail qui vous permet de vivre dans de bonnes conditions pour choisir une situation beaucoup plus précaire? La grande démission, c’est le titre d’un article du Monde du Mercredi 26 Janvier (https://www.lemonde.fr/emploi/article/2022/01/25/la-grande-demission-aux-etats-unis-une-vague-de-departs-deferle-sur-les-entreprises_6110824_1698637.html) qui évoque des départs suffisamment importants de salariés de grandes entreprises prestigieuses aux états-unis pour un travail moins rémunéré et souvent beaucoup plus incertain (voir sans avoir de travail à suivre). Du monde de l’informatique dont je suis issu, c’est une préoccupation de premier ordre : le turn-over est si coûteux qu’on propose des primes de cooptation pouvant aller jusqu’à plusieurs mois de salaire et sans grand succès puisque les dispositifs sont sans cesse renouvelés (“solution anti-symptôme” si on se réfère à Peter Senge, la cinquième discipline).

Moi aussi je suis parti

J’ai quitté mon énorme entreprise protectrice en fin d’année dernière comme tous ces salariés américains alors que tout se passait plutôt bien pour moi. Je suis maintenant à mon compte dans une situation financière certainement moins enviable, mais très heureux de mon choix!
Est-ce qu’il faut être fou pour se lancer de cette façon?
J’aimerai simplement témoigner sur ce qui m’a motivé pour ce départ et finir par quelques réflexions que j’ai glané au fur et à mesure de mes lectures. Il n’y a aucun règlement de compte, aucune rancune, c’est simplement une histoire à partager qui pourrait être utile à tous!
Je suis arrivé dans cette très grande entreprise pour une question de prestige (renommée internationale), de possibilités de travail (les projets qui m’intéressaient étaient fait dans ce type d’entreprise) et pour l’aspect protecteur (dans tous les cas je touchais mon salaire en fin du mois).

Un contrat de départ bien rempli, mais le temps passant…

De ce point de vue, il est important de dire  que le contrat a été rempli dans ces trois domaines : intérêt des projets, variété, sécurité d’emploi. Mais le temps passant, j’ai changé de perception ce qui m’a amené à un décalage que je vais tenter d’expliquer.Il faut noter que j’y suis resté plus de 10 ans et que mon évolution dans le chemin de carrière a été relativement standard. Arrivé avec un bon niveau de rémunération, mon salaire n’a que peu évolué et pendant un temps c’est ce qui me peinait le plus même mais ça n’a pas été la cause principale de mon départ in fine. Il faut aussi éliminer toutes sortes de lamentations classiques qu’on pourrait entendre sur le management, ou l’état d’esprit, j’ai toujours plutôt été satisfait dans ces domaines,c’est donc ailleurs qu’il faut chercher, vers quelque chose de plus subtil!

Les initiatives qui ne mènent à rien

Avec ce petit regard en arrière, j’ai toujours eu envie de construire de nouvelles choses avec d’autres personnes, et c’est certainement le moteur le plus puissant, le plus satisfaisant. Mais alors comment en suis-je arrivé à partir?
La réponse est sans doute dans l’usure qui, lorsque de nombreuses fois le même schéma se reproduit inlassablement transforme l’envie en déception, incompréhension, colère puis renoncement; voici le cycle que j’ai toujours connu des premières aux dernières années :

  1. Tu as une idée et tout le monde te félicite et t’encourages
  2. Dans l’idée de “qui ne fait rien n’a rien”, tu mets de l’énergie sur ton temps “personnel” (comprendre en plus de ton travail quotidien que tu continues à faire en parallèle) pour faire une proposition et fédérer d’autres personnes
  3. Le moment est alors venu de la mise en pratique ou du déploiement: il faut des moyens financiers ou humains. Là tout se complique, les portes se ferment, aucune réponse aux mails, et il semble que tout à coup, personne ne sait qui pourrait prendre la décision…
  4. Après quelques tentatives, le projet est abandonné, jamais poussé à son terme
  5. Un nouveau projet émerge, voué au même résultat, un de plus avec une nouvelle personne
Le mythe de Sysiphe

Au final c’est beaucoup d’énergies et d’espoirs déçu, et idée après idée, année après année, le constat est là, souvent partagé avec d’autres, il faut faire un choix ; renoncer voire faire semblant de proposer du nouveau ou partir!
Certes on ne peut pas dans une grande organisation laisser toutes les initiatives émerger, cela aboutirait tout simplement au chaos, et les moyens disponibles ne sont pas infinis. Mais le contrôle des coûts est tellement strict (La moindre dépense même réduite est soumise à de multiples autorisations contrôlées dans des outils) que les projets n’ont même pas les moyens de décoller, de sortir des quelques papiers produits pour convaincre..

L’argent avant tout

Le règne de “l’argent roi” s’exerce dans tous les projets quand l’énergie et les décisions importantes ne sont plus prises que dans un prisme financier: Comment augmenter notre marge? Comment vendre plus? Une véritable dichotomie s’est même installée dans l’organisation entre la partie commerciale et la partie technique qui ne communiquent plus : Les solutions sont là, mais irrémédiablement, les solutions seront revues pour moins cher, les estimations baissées sans vraiment de concertation et le temps et l’énergie passée à rogner et suivre les coûts deviennent impressionnants ! C’est là encore souvent  la satisfaction du travail bien fait, d’une réussite commune qui finalement se réduit, générant une sorte d’insatisfaction générale qui n’est jamais évoquée ouvertement.
Est-ce qu’il vaut mieux livrer rapidement quelque chose à notre client ou prendre le temps de bien faire? Est-ce qu’on est en mesure de proposer autre chose au risque de perdre l’affaire? Est-ce que le projet est à notre bénéfice ou celui du client? Là encore la réponse n’est jamais unique, mais sur le terrain, l’importance des économies nous pousse à tous les raccourcis, voire toutes les lâchetés, et au-delà simplement de l’insatisfaction de ne jamais pouvoir faire les petites reprises nécessaires, le renoncement et la défiance s’installent aussi bien chez nous que chez et avec nos clients. Ce n’est pas une question d’appartenance, mais une question de système.

L’argent est aussi prégnant dans  le contrôle strict des dépenses, ce contrôle est bien sûr nécessaire, mais toute la subtilité est dans le mot “strict” : Qu’en est-il quand faire une dépense devient si compliqué qu’on préfère renoncer et faire sans? Qu’en est-il quand on se retrouve à échanger de multiples mails pour obtenir des sommes dérisoires? Alors on ne peut plus parler de gain, mais de perte lorsque le temps passé à décider coûte plus cher que la somme dont on parle, l’usure se fait et alors l’envie disparaît. 

L’argent omniprésent

Tous ces mécanismes se sont installés au fur et à mesure des années (je m’appuie aussi sur des témoignages de personnes parties en retraite récemment avec plus 20 ans d’ancienneté) dans la recherche effrénée du profit. Tout le monde se sent victime du phénomène sans savoir comment s’en sortir. L’idée d’une situation sans issue s’installe finalement doucement, elle semble devenir quelque chose de normal (je pense au Scandale Orpea actuellement en cours qui procède selon moi du même dispositif). Mais aussi absurde que cela paraisse, soudainement de grandes dépenses sont engagées sans qu’on en comprenne l’origine ou la logique : on reçoit des cadeaux, des primes, on réorganise, on achète de nouveaux locaux, de nouvelles entreprises, et c’est l’occasion d’évoquer les modes de prise de décision…

Point de décision possible sans l’aval d’une hiérarchie obscure et tentaculaire!

Comme dans toute entreprise, la question est “comment les décisions sont-elles prises?”. La réponse à cette question varie grandement entre la Startup et la multinationale, mais il est un facteur qui ne varie pas, c’est le besoin de comprendre la décision et sa motivation par l’ensemble des parties prenantes.
Dans l’organisation dont je viens, je n’ai jamais compris quelles décisions étaient prises et pourquoi? J’ai tenté de m’y intéresser, mais la lecture que je faisais de la stratégie dans les mails et les annonces m’est toujours apparue  peu claire, voire je percevais un décalage entre ce qui était dit et les actions entreprises.  Personne n’a vraiment pu répondre à mes questions. J’ai souvent vu des décisions descendantes arriver sans que je puisse vraiment comprendre d’où elles venaient : sous forme d’un mail venant d’une boîte générique, ou simplement d’un relais hiérarchique dont l’autorité n’est pas à discuter, ou une simple rumeur, voire la rencontre d’une personne qui a été directement impactée par la décision qui nous en informe. J’en ai en fait déduit que les tenants et les aboutissants de ces décisions n’étaient pas toutes communiquées rendant le message confus. Encore une fois, la question n’est pas d’être partie prenante de la décision, mais de la comprendre (je renvoie vers cet article de McKinsey sur les prises de décisions que je trouve chouette).. Il y a aussi peut-être une part de secret, mais je pense qu’elle est très limitée et qu’au final la plupart des décisions sont prises en fonction d’ indicateurs financiers, voire dans le mode HIPPO (Highest-Paid Person Opinion, c’est la personne la mieux payée qui prend la décision)…

Si on regarde maintenant la question vue du terrain, la plus grande difficulté porte plutôt sur des décisions qu’on attend. Une fois la demande faite, alors il faut s’armer de patience pour avoir un retour qui la plupart du temps est négatif..  La politique rentre en jeu, il faut prendre son bâton de pèlerin et passer un temps long dans les couloirs et les bureaux, tenter de trouver les bons relais, loin de l’opérationnel et de la cause initiale qui motivait la demande. Je pense qu’il y a quelque chose de très humain là- dedans, mais qui ne garantit en rien la meilleure prise de décision. Là encore, une sensation d’incompréhension arrive, et le renoncement survient encore, j’ai par exemple vu une initiative de terrain mettre 2 années avant de voir les prémices d’une mise en place plus large, ou encore une annonce changer en quelques semaines du tout au tout!

Alors une fois de plus l’heure des choix arrive et de la responsabilité qu’on souhaite prendre : rester ou partir? Illusion que tout est mieux ailleurs? Céder au renoncement? Se consacrer à autre chose que son travail ailleurs dans son milieu familial, dans le monde associatif?

L’envie d’un monde différent et une vision changée du travail!

Il n’est pas dans mon propos de vouloir calquer mes sentiments à tous les salariés de l’informatique, j’ai largement trouvé mon compte dans toutes ces années passées, en termes de rencontres, de travail d’équipes, d’évolutions, et je pense que c’est encore le cas pour de nombreuses personnes. Mais rétrospectivement, j’ai majoritairement vu des personnes qui ont perdu l’appétit du travail, finissant par se contenter de faire ce qu’on leur demande, comme des ouvriers à l’usine! J’affirme dans toutes mes années d’expérience que la mécanique à l’œuvre est bien celle de l’ouvrier et du contremaître, tous deux enfermés dans cette relation de contrôle et de subordination. Tantôt l’un cédant brutalement à des excès de pouvoir (“c’est comme ça!”) et tantôt l’autre refusant de décider (“je fais ce qu’on me dit”) et tous deux pris dans un mouvement interminable entre ces deux extrêmes!
J’ai maintenant une autre idée du travail, je suis convaincu qu’il est possible de fonctionner autrement, ce mode de travail et de relation n’est pas une fatalité, un fonctionnement différent est possible!

L’exemple des développeurs  de l’open source

Ces formes de collaborations existent même par exemple dans le développement open source. Qu’est ce donc? Des développeurs informatiques se sont fédérés pour réaliser des logiciels. Une nouvelle entreprise? Pas vraiment, en fait, il n’y a pas de contrat de travail, pas de rémunération ou de primes, tout le monde peut participer s’il le souhaite, même sans être un expert technologique (par exemple en rédigeant des manuels utilisateurs)! Les résultats sont là: on ne le sait pas, mais l’informatique que nous utilisons au quotidien regorge de ces composants réalisés par des bénévoles (par exemple le navigateur Firefox largement utilisé en France)! N’est ce pas du travail? Comment réaliser de si belles choses sans passer par la case salaire et dépendance hiérarchique? Qu’est ce qui peut bien motiver ces personnes à travers le monde?

J’ai relevé un embryon de réponse dans cette émission (Nom de code Linux [FR] – DOCUMENTAIRE) faisant l’inventaire des motivations des développeurs open-source : 

  • La fierté artistique
  • La satisfaction du travail bien fait proche de l’artisanat
  • Le sentiment de faire partie de quelque chose de plus grand que vous qui vous dépasse
  • Le désir d’aider le monde et de trouver une solution aux problèmes
  • Se forger une réputation auprès de leurs pairs

Peut-être pourra-t-on rétorquer qu’il faut bien gagner de l’argent pour vivre, c’est certes vrai, mais l’homme ne vit pas que de confort et de nourriture, et c’est sans doute dans le contrat social actuel (qu’on  pourrait résumer en “je suis subordonné et cela me permet de gagner ma vie”) qu’il faut chercher des réponses qui ne sont pas encore toutes trouvées!

Développeurs open source

Les changements nécessaires sont principalement dans nos mentalités, dans nos façons de voir les choses, dans de nouvelles façons de collaborer (pas nouvelles dans la littérature, mais sur le terrain). Ils seront longs et difficiles à mettre en place, c’est une aventure qui se vivra d’abord aux marges des organisations, ou dans de nouvelles structures comme des startups ou des filiales de grands groupes.
Je veux en être maintenant et c’est pourquoi je choisis de retrouver ma liberté au détriment de mon confort!

Les bons mots de Frankl pour finir

Pour finir, je suis tombé par hasard cette semaine sur cette citation de Viktor E.Frankl, un psychologue rescapé des camps de concentration qui après cette épreuve s’est intéressé aux raisons pour lesquelles il avait vu beaucoup de gens mourir alors que lui avait survécu dans des conditions effroyables. Et je vous partage cette citation que j’ai affichée derrière moi dans mon bureau :

Ce dont l’homme a réellement besoin ce n’est pas d’un état sans tension mais bien plutôt de s’acharner et de se battre pour un objectif de valeur, une tâche librement choisie

Viktor E.Frankl

Pour aller plus loin

  •  “Les états-unis face à la grande démission”, le monde Mercredi 26 Janvier 2022
  • “La cinquième Discipline” de Peter Senge
  • “Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie”, Viktor E Frankl

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